Nous croyons nous ne croyons pas

 

NOTA. Extraites du périodique annuel « Le Pèlerin d’Arès 1991-1992 », ces pages furent rédigées par le frère Michel pendant une maladie d’issue incertaine. Son intention était de laisser à ses frères ce qu’il appela une « direction de certitude » et de les inciter à abandonner définitivement les réflexes mentaux traditionnels nuisibles à leur mission que le public interprète  comme une propagande religieuse. Ce n’est pas une religion que La Révélation d’Arès donne au monde, mais la vie spirituelle. La vie spirituelle n’est pas fidélité à des dogmes, à un culte, à une liste d’attitudes, qui sauveraient par le seul fait d’y croire et de les observer (définition de la religion). La vraie foi a certes un cadre : la Parole de Dieu, mais sur cette base elle est fidélité constructive à la volonté de se changer soi-même -  vaincre le péché et d’abord le péché contre l’amour -  et de changer le monde. Par là même la vraie foi, ni dogmatique ni cultuelle, est libre, créatrice, évolutive. L’homme, co-créateur du monde avec Dieu, doit essentiellement se reconstruire en bien, en amour, en intelligence. C’est le génie même de La Révélation d’Arès et de toute la Parole de Dieu depuis son origine.

 

La religion ne laisse pas grand-chose à la liberté, à la liberté de la Parole autant qu’à celle de l’homme. De la Parole elle a rabougri, détourné la dynamique fondamentale et perpétuelle, dont elle a dépassionné l’homme. La religion a dilaté, reformulé, décrété ce qui n’est qu’indicatif ; elle a généralisé et éternisé ce qui est local est circonstanciel ; elle a changé l’amour et la latitude de la Parole en morale étroite ; elle en a rempli les silences, oubliant leur sagesse. La religion a escamoté la Colère que Dieu dirige contre elle. Pour vous en finir, la religion a souvent fabulé, vaticiné, fixé la conduite et le sort de Dieu —  l’éléphant — comme de l’homme —  le pendu (XXX/3).

Dans l’église je n’avais que des certitudes et des réponses prêtes sur tous les sujets. Peut-être me sentais-je seulement innocent de toute erreur. Je me posais rarement, et vaguement, la question des possibles erreurs et des inventions de la doctrine. Si elles existaient, je n’y étais pas mêlé, elles venaient des fondateurs : les « pères » ; je jouissais de la certitude viscérale que Dieu reconnaîtrait mon innocence et me sauverait le jour de ma mort. S’il m’arrivait de penser que des grands de l’église avaient commis des abus, je n’étais pas un abusé devenu prudent (28/5). Ecclésiastique engagé et dévoué, je considérais ma religion comme parfaite, pourvu qu’on eût la « sagesse » de ne pas réfléchir et assez de « discernement » pour se laisser guider. Mon église, je n’en doutais pas, détenait « la vérité en plénitude ».

 

— Je découvre que je ne sais rien, et ce que j’apprends maintenant dans l’Eau de Dieu représente tout ce que l’homme peut en savoir, rien de plus, la seule part accessible au pécheur. —

 

1974. Commence le lent et pénible éveil de ma conscience ; il durera jusqu’aux Théophanies, qui me mettront debout, les yeux grand ouverts. Jésus me surprend en haut de ma falaise de certitudes, noyé dans les nuages théologiques. Il souffle et me pousse jusqu’à la Mer, la Mer sur les Hauteurs tellement plus haute que les sommets où je m’étais élevé. Je nage, dépouillant mes parures (34/2) d’étoffe et d’esprit, luttant pour trouver l’Air (XXXII/4). Dégrisé, je perçois l’humiliante immensité de la Mer, l’impuissance du nageur humain à l’embrasser au-delà du flot immédiat. Je découvre que je ne sais rien, et ce que j’apprends maintenant dans l’Eau de Dieu représente tout ce que l’homme peut en savoir, rien de plus, la seule part accessible au pécheur. Au-delà de ce petit flot de conscience le Mer court, démesurée, d’une Main à l’autre Main du Créateur (IV/). Plus tard, je m’élèverai, faucon, du flot tumultueux de mon apprentissage, quand j’aurai compris qu’un peu de vrai (II/8-9, XX/2) sauve s’il est accompli, mais que beaucoup de théologie égare aussi sûrement que le rêve.

Homme d’église, j’enseignais un credo, et son développement : des dogmes, une doctrine prolixe. Tout m’y apparaissait logique, d’une complétude sans faille, inexpugnable à tout déni. Des « pères, saints inspirés par le Saint Esprit », avaient tout compris et tout dit. Ma foi n’était pas piètre comme celle des innombrables gens pour qui elle n’était qu’habitude acquise, espoir face aux doutes, ivresse contre les illusions perdues. Ma foi était construite. Toute déclaration étrangère ou défavorable au dieu-trinité, à la croix rédemptrice, aux sacrements salvateurs, à l’intercession des saints, était égarement, donc péché, et perdition à moins de Miséricorde, plutôt peu probable hors de l’église. Je me sentais même honoré par l’injustice imbécile d’une telle absence d’alternative, j’étais aveugle à l’Amour et au Non-Conformisme de Dieu, lisant ses Evangiles chaque jour, en martelant les phrases, sans en entendre la générosité et l’insurgeance. Je vivais ma foi avec ce que les hommes d’église appelle « sérieux ». Chacun, alors, comprendra mieux mon désarroi de pharisien, quand Dieu, en 1974 et en 1977, ramena la Parole à la part accessible à l’homme, m’apprit la vraie foi. D’abord j’y vis une relativisation. Assez vite je compris qu’il s’agissait de transcendance, la lentille par quoi passe bien plus que la connaissance : la Lumière. Par exemple, Jésus, qui n’est pas Dieu (32/2), me parla comme s’il était Dieu, dans l’ambigüité des Je et des Me pour souligner cette nature du langage prophétique qui avait amené des docteurs raisonneurs à déclarer faussement que le prophète Jésus était Dieu incarné, et pour nous rappeler qu’aucune intelligence d’homme, faible lumignon, ne peut comprendre le lien réel entre Dieu et le prophétisme - la parole qui est la Parole, Justice de juste (XXXI/10) - et qu’il faut prudemment se tenir devant la Parole comme devant un abîme (32/5-8).

 

— Le Père dit en substance qu’aucun croyant ne devrait avoir de credo, que tout credo est religieux par nature, une construction de docteurs et de dos gris. —

 

Pèlerins d’Arès, à qui échoit de savoir que - sur l’aire désignée en 5/6 -  la religion, déjà décélérée, gèrera toujours moins de mouvements moraux et sociaux, deviendra négligeable, et que sur sa ruine nous devrons bâtir le Vrai, nous n’avons pas de credo. Le Père dit en substance qu’aucun croyant ne devrait avoir de credo, que tout credo est religieux par nature, une construction de docteurs et de dos gris. Le Père nous appelle à vivre les raisons de la vraie foi, à comprendre par le vécu qu’elles nous donnent seulement une direction de certitude. Tout credo est faux. Si nous nous en donnions un, il serait aussi faux, même fondé sur La Révélation d’Arès, même apparemment exempt de théologie, parce que le credo revient à une théologie, et même par son principe simplificateur, doctoral, déclaratoire, tend à se prétendre absolue vérité et formule magique de salut. Cependant, nous croyons à quelque chose, ce quelque chose passa par la pensée qui, pour participer à la Vie et redonner au monde la Vie, se trouve bien d’être en paix et en pleine possession de sa force spirituelle. N’ayons pas de credo, mais une pensée claire.

J’ai comparé la Vérité à la Mer. La Vérité  est aussi  comparable à une lourde, longue amarre montée du Fond (XXXIV/7-9), longtemps avant Adame (VII/1), à travers l’Eau de Dieu, et disparaissant dans des soutes profondes et obscures des fins dernières. Elle ne fait que passer par nos mains, très lentement, quelques tresses à la fois, que nous tâtons plus que nous les voyons dans la nuit du péché ou bien, au mieux, dans le demi-jour brumeux de la pénitence. Du Fond auquel l’amarre nous relie nous ne voyons presque rien ; des fins dernières à l’autre bout nous savons très peu. Quant au Père qu’elle nous apporte, de distance en distance — la dernière fois en 1977 —, ce nœud lourd qui nous fait, haleurs, soudain ahaner, qui pourrait le dénouer à moins d’avoir infinies patience et concentration, et de tenir les deux extrémités de l’amarre ?

Nous sentons plus que nous ne comprenons les vibrations et les appels qui parcourent cette amarre, montant de l’Ancre invisible sur le vaisseau humain. Et même, nous distinguons à peine dans la soute les milliards d’hommes disparus, vivants et à venir — l’homme ne se connaît pas mieux qu’il ne connaît Dieu —. L’amarre nous glisse souvent des mains ; la religion n’est pas étrangère à ces maladresses, parce qu’elle a fait plus de mal à la Vérité que l’ignorance na fait d’obscurantisme.

Depuis La Révélation d’Arès nous savons que la part de Vérité que l’homme peut porter n’a pas cessé d’apparaître du fait de Dieu, et de pourrir sur place du fait de l’homme, créé libre de la saisir ou de la laisser choir. Les religions qui proclament que tout a été dit, que leurs livres mettent sous nos yeux, sont vaines comme des haleurs assis, inutiles, qui n’ont pas compris que la Vérité bouge, monte, vibre, court comme la vie.

Le Vérité totale n’a jamais été donnée à personne. Qu’en ferions-nous, du reste ? En discuter sans fin et sans comprendre, la langue cousue (XIII/3) ? Du pécheur l’intelligence est très limitée, mais la prétention considérable. A notre salut suffit le miel, la petite part de Vérité que certains saisissent par la foi conscite (XXII/14) et d’autres par intuition, même si ceux-ci taisent le nom de Dieu ou le haïssent (28/10-14). Par la foi ou par l’intuition, de cette petite part de Vérité rien n’est déjà facile à accomplir, en même temps rien n’est compliqué, et rien n’est catégorisable, parce que chaque Idée, chaque Mot contient tous les autres. Ce flot accessible roule sur lui-même et s’échange sans cesse avec la Mer immense à quoi, fluide, il appartient.

 

— Dieu respecte la liberté de l’homme, il sait que l’homme est

devenu librement bègue et sourd (XII/4-7). Dieu ne lui ouvrira pas les oreilles de force, n’en fera pas un sauvé involontaire et sans gloire. —

 

L’homme ne comprend sa part de Vérité que dans le flou, l’inachevé. L’incomplétude ; cela tient à l’Amour de Dieu. Dieu respecte la liberté de l’homme, il sait que l’homme est devenu librement bègue et sourd (XII/4-7). Dieu ne lui ouvrira pas les oreilles de force, n’en fera pas un sauvé involontaire et sans gloire. Dieu attendra que l’homme se grandisse et se glorifie en se recréant consciemment. Jusqu’à ce moment il arrivera même que notre part de Vérité trouble la foi ou lieu de l’éclairer. La compréhension de la Parole, particulièrement la compréhension collective, est bien devenue faible lumignon (32/5).

Cependant, avec La Révélation d’Arès, si la part de Vérité accessible à l’homme se révèle moindre que nous pensions, une sensation nouvelle nous réveille. Par tous les atomes de la chair et tout l’éther de l’esprit nous sentons que cette part de Vérité ne se transmet pas dans une doctrine — un credo — mais dans une tension de l’être : notre amour, notre humilité, notre honnêteté, notre travail à créer le nouveau monde ; de ces sensation et tension acceptées, dynamisées, se forme l’âme. Cette (re) découverte est sans pareille dans l’histoire. De la Parole nos descendants (39/10) comprendront plus de choses, plus vite, même si quatre générations ne suffisent pas (24/8) pour faire d’eux des nouveaux Adam. Dès cette génération le clone (XXXIV/5) de l’Adam édénique ressort dans notre sang (XXX/8) et dans notre conscience personnelle comme sociale — bourgeon — de l’intraduisible phénomène de renaissance qu’est la polone (XXXIX/12-13) . Nous sentons la sève monter dans notre bois mort : ils peuvent ne pas Me voir, mais ils sont moulés à Moi, dit la Vérité (1/11). A travers la Parole d’Arès nous sentons le vrai (II/8-9, XX/2), la petite part de Vérité à notre portée : infiniment plus de lumière que n’en donnèrent au monde les princes du culte et leurs docteurs péremptoires, qui codifièrent et imposèrent beaucoup de faux, égarant d’innombrables croyants. Quand ceux-ci, égarés au cours d’une très longue ère de confiance, s’aperçurent de la tromperie des religieux, ils tombèrent dans le doute, dans la recherche de substituts, ou dans l’athéisme. Mais beaucoup sont prêts à retrouver et à comprendre le sens général de la Création et le rapport entre Dieu et l’homme ou, dit autrement, le rapport entre l’amour et la liberté. Pour revenir parler à l’homme, en 1974 et 1977, le Père choisi l’instant historique d’une crise de la foi. Dans ces circonstances nous réalisons que l’homme, qui est co-créateur du monde avec Dieu, est aussi co-créateur de sa part de Vérité quand il en discerne les limites, la comprend et l’entreprend. Quant à la Vérité totale, absolue, n’étant ni compréhensible ni réalisable, à quoi servirait-elle à l’homme, quand bien même Dieu l’aurait énoncée aux oreilles d’un prophète ?

N’ajoutons rien d’artificiel ou d’inventé à ce que Dieu dit, n’allons pas au-delà de ce que nous en comprenons, et nous garderons la direction de certitude. C’est d’accepter notre part de Vérité comme ne représentant que quelques brasses de la longue amarre Vérité, que nous trouvons la sagesse. Ce qui compte, c’est que nous soyons transportés de foi, de joie et d’esprit de décision en sachant que, si la Vérité plénière échappe, le salut est quand même assuré aux hommes de bien, croyants et incroyants, et le monde peut changer (28/7). Un peu de Vérité pour changer tout un monde.

 

— La Parole n’est pas conçue comme une thèse systématique ; elle obéit au besoin d’être comprise des hommes comme ils comprennent la vie, afin de transmettre la Vie. —

 

Le Vrai, la part de Vérité que nous pouvons saisir, manque de glisser entre nos mains à tout instant, tourne et revient sur lui-même. De plus, il ne se laisse voir qu’en surface ; la lourde amarre cache dans ses torons la masse de son chanvre. Non seulement nous n’avons pas credo, pas de dogme, pas de doctrine, mais nous ne pouvons pas dresser une liste de termes de foi parfaitement catégorisée. La Parole de Dieu et la foi qu’elle suscite nous mêlent à de puissantes Notions qui elles-mêmes se mêlent et s’interpénètrent. Toute partie dépend du tout et le tout est contenu dans toute partie. Qui n’est frappé, en lisant la Bible, le Coran ou La Révélation d’Arès, par l’absence de plan discursif, linéaire ? La Parole n’est pas conçue comme une thèse systématique ; elle obéit au besoin d’être comprise des hommes comme ils comprennent la vie, afin de transmettre la Vie. Toute fraction de l’univers que Dieu crée, une étoile ou une phrase, contient la Vérité plénière, n’est autre qu’un mode d’être de la Vérité plénière. Thèse humaine : tantôt quête fiévreuse de ce mieux qui est l’ennemi du bien, tantôt théorie simplificatrice. Une thèse, au mieux, conçoit, fabrique et manipule l’épée, mais s’égare quand elle veut expliquer et remplacer le Bras qui la soulève (35/14). Nous ne pouvons faire mieux, pour serrer de près le Vrai, que de garder aux concepts qu’il dicte leur nature interactive, et de dire :